Présentation de la CEB, banque de développement du Conseil de l’Europe.
“La banque CEB est une banque multilatérale de développement à vocation exclusivement sociale. En apportant une expertise technique et financière à des projets à fort impact social dans ses pays membres, elle promeut activement la cohésion sociale et renforce l’intégration sociale en Europe. La CEB est un instrument majeur de la politique de solidarité en Europe. Elle participe au financement de projets sociaux, intervient en cas de situation d’urgence et contribue à améliorer la qualité de vie des groupes de population les plus défavorisés.” (source : Conseil de l’Europe).
Ci dessous, un article rédigé par Sandrine Gaudin, Vice-Gouverneure pour la Stratégie Financière de la CEB, publié dans le numéro 249 (juillet-septembre 2024) dans la revue Allemagne d’aujourd’hui, disponible sur le site de la CEB.
“L’Europe sociale, un approfondissement progressif au fil de la construction européenne et notamment à la faveur des crises
Dès 1957, le Traité de Rome prévoit, afin d’assurer le progrès économique et social des Européens, la création du Fonds social européen pour financer initialement la reconversion des travailleurs et leurs mobilités entre les États membres. Lors de la crise énergétique des années 1970, les États membres adoptent un plan d’action sociale pour réguler les restructurations d’entreprises, pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs et pour assurer l’égalité hommes-femmes, principe qui est inscrit parmi les droits et les valeurs protégés par les Traités. C’est néanmoins la Commission Delors (1985-1995) qui amplifie l’action européenne en matière sociale et met en place le dialogue social européen avec les rencontres de Val Duchesse, contribuant ainsi à la formation de structures européennes de dialogue social.
Dans les années 1980, la lutte contre le chômage devient une priorité collective et l’Acte unique européen de 1986 ouvre la voie à de nouveaux outils, notamment le programme européen d’aide aux plus démunis, essentiel en France pour le bon fonctionnement de nombreuses associations caritatives dont les Restos du Cœur. Le Traité d’Amsterdam signé en 1997 consacre un chapitre à la politique de l’emploi et pose le principe d’une stratégie européenne de l’emploi concrétisée via une coordination des politiques nationales à l’image de ce qui est prévu en matière de coordination des politiques économiques. Désormais, chaque programme national de réforme présenté tous les ans par tous les États membres en vue d’assurer cette coordination doit détailler les politiques de l’emploi et les politiques sociales développées au niveau national.
En 2017, un sommet social réunissant les chefs d’État ou de gouvernement et les partenaires sociaux européens est organisé à Göteborg et adopte le socle européen des droits sociaux qui comprend 20 principes sociaux vers lesquels l’Europe doit tendre. En 2021, à Porto, un autre sommet social important adopte trois objectifs pour 2030 : un emploi pour au moins 78% des 20-64 ans ; une participation à des activités de formation pour au moins 60% des adultes chaque année ; au minimum 15 millions de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale.
La pandémie du COVID en 2020 a donné l’occasion à l’UE de faire un bond en avant dans la mutualisation de la gestion des conséquences du chômage, à travers le mécanisme d’emprunt commun SURE, qui permet de financer des mesures de sauvegarde de l’emploi et les régimes de chômage partiel. Le plan de relance Next Generation EU, doté de 750 milliards de subventions et de prêts aux États membres, financé par un emprunt commun pour la première fois, prévoit un volet important pour le financement de mesures liées à la résilience sociale, la cohésion sociale et à la formation professionnelle. L’histoire retiendra que ce saut fédéral a été réalisé pour assurer la cohésion sociale en pleine pandémie.
Une réglementation européenne étoffée pour couvrir aujourd’hui une grande variété de domaines
Le corpus des règlementations sociales européennes est étoffé, même si le plus souvent il s’agit de texte d’harmonisation minimale, laissant une très large latitude aux États dans la mise en œuvre : temps de travail, conditions de travail, hygiène et sécurité au travail, coordination des régimes de sécurité sociale, le détachement des travailleurs, accessibilité des produits et des services pour les personnes en situation de handicap…
Sous l’impulsion des présidences semestrielles du Conseil de l’UE, l’Europe sociale progresse si des priorités claires sont affichées, ce qui n’est pas systématique. Ainsi, lors de la présidence française du Conseil de l’UE au premier semestre 2022, trois grandes négociations ont abouti : l’instauration de salaires minimums en Europe, l’égalité femmes/hommes dans les conseils d’administration, la transparence salariale. En 2023, la présidence espagnole a organisé un sommet tripartite entre l’UE et les partenaires sociaux le 25 octobre 2023 afin de souligner que le développement d’une politique industrielle européenne devait s’accompagner d’un volet social au profit des travailleurs. De même en 2024, la présidence belge a souhaité renouer avec la tradition des rencontres à Val Duchesse et a tenu un sommet tripartite à La Hulpe les 15 et 16 avril 2024. Une déclaration importante sur l’avenir de l’Europe sociale, se référant au socle européen des droits sociaux, a été adoptée à l’unanimité moins deux États, Suède et Autriche qui estiment que le renforcement d’une Europe sociale peut porter préjudice à leur modèle social national.
Récemment, en fin de mandature du Parlement européen au printemps 2024, plusieurs avancées sociales sont à souligner : la reconnaissance des personnes en situation de handicap, l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, le statut des travailleurs des plateformes numériques, le devoir de vigilance imposée aux entreprises afin qu’elles respectent les droits sociaux y compris dans leurs relations avec leurs sous traitants hors de l’UE.
Une palette d’instruments financiers d’un montant global non négligeable pour une compétence européenne dite d’appui
Le budget de l’UE (2020-2027) prévoit d’importants montants pour financer les dépenses sociales ou de formation professionnelle dans l’UE. Le Fonds social européen, l’un des instruments les plus anciens, est doté de 88 milliards pour sept ans, dont 6,7 milliards sont affectés à la France. Il faut y ajouter les dépenses de reconversion professionnelle prévues dans le nouveau Fonds de transition juste et les fonds ad hoc, comme par exemple ceux portant sur la protection des réfugiés ou l’aide aux plus démunis. En plus de ces financements destinés directement à des besoins sociaux, il faut ajouter les fonds destinés aux pays candidats à l’entrée dans l’UE, les fonds de la politique de voisinage et les fonds de pré-adhésion qui comportent tous un volet social. Il est difficile d’établir un montant global des financements de l’UE dans le domaine social mais on doit pouvoir dire que les interventions financières de l’UE sont loin d’être négligeables alors que la compétence européenne dans ce domaine n’est qu’une compétence d’appui aux politiques nationales.
Une intervention concomitante et complémentaire par l’instrument financier du Conseil de l’Europe, la CEB
La CEB, qui coopère de manière croissante avec de nombreuses organisations internationales et avec les autres banques internationales de développement est l’un des partenaires naturels de l’UE. Avec la Commission européenne, qui est le principal donateur de la CEB, la coopération ne cesse de s’intensifier. La CEB s’appuie sur les financements de la Commission pour financer de l’assistance technique et fournir des aides à l’investissements destinées aux projets de la Banque notamment en panachant prêts et dons. Mais la CEB peut aussi cofinancer des projets avec la Banque européenne d’investissement (BEI), dont le mandat est plus orienté vers le climat. 25% des interventions de la CEB sont faites en partenariat avec la BEI, dans les domaines de l’éducation, les infrastructures locales, l’efficacité énergétique et les transports locaux.
La CEB occupe désormais une place importante dans l’architecture financière du développement européen en s’appuyant sur la palette d’instruments prévus par le budget de l’UE. Depuis 2000, date à laquelle le premier accord contractuel a été conclu, la Commission a contribué à hauteur de 699 millions d’euros, soit 75% du total des dons reçus par la CEB. Le fort effet de levier exercé, c’est-à-dire le rapport élevé entre les contributions de l’UE et les projets soutenus par ces fonds témoigne de l’impact positif de la coopération entre la Commission et la CEB. A ce jour, la valeur totale des projets de la CEB qui ont bénéficié de dons de l’UE s’élève à 2,9 milliards d’euros.
Ces fonds peuvent être directs (attribués par différentes directions générales de la Commission, comme la Direction générale de l’Emploi ou la Direction générale des affaires intérieures ou la Direction générale en charge du voisinage) ou indirects, c’est-à-dire qu’ils transitent par des mécanismes ou des plates-formes régionales spécifiques. Le meilleur exemple est le cadre d’investissement en faveur des Balkans occidentaux (WBIF) crée en 2008 et qui a permis à la CEB de piloter un programme régional de logement au profit des personnes déplacées durant la guerre en Ex Yougoslavie, en liaison avec le HCR, l’ONU et l’OSCE. Aujourd’hui, près de 36 000 personnes ont pu en bénéficier pour un montant total de 238 millions d’euros finançant ainsi près de 11 300 logements.
En 2016, pour aider la Türkiye à répondre aux besoins des réfugiés de Syrie, la Commission a crée la facilité pour les réfugiés en Türkiye (FriT) et l’a dotée de 6 milliards d’euros. La CEB gère deux projets visant à améliorer les soins de santé pour les réfugiés et pour les communautés d’accueil pour un montant de 140 millions.
La CEB s’appuie aussi sur les facilités de garantie budgétaire prévues par l’instrument Invest EU lancé en mars 2021 pour stimuler l’investissement durable, l’innovation et l’emploi en Europe, en élargissant les possibilités du Plan Juncker. Environ 3 milliards de cet instrument doté de 46 milliards sont orientés vers des investissements sociaux. Cette garantie permet à la CEB de diversifier les partenaires bénéficiaires (pas seulement des gouvernements ou des collectivités publiques, mais aussi des fondations, des coopératives et des associations) et de prendre plus de risques par exemple en finançant des acteurs de la microfinance ou de l’économie sociale et solidaire. Avec 159 millions de garanties de l’UE, la CEB a pu démarrer en 2023 un programme comportant un portefeuille de prêts de 370 millions en faveur du logement social, la formation et la microfinance. Au total, 740 millions d’euros d’investissements seront assurés en cofinancement avec l’UE. Ainsi, la CEB a accordé un prêt de 13,5 millions d’euros à la Fondation des apprentis d’Auteuil en France en 2023.
Concernant l’Ukraine, pays candidat à l’UE et membre du Conseil de l’Europe et de la CEB, le nouvel instrument de financement européen pour l’Ukraine a été adopté au printemps 2024 et il s’élève au total à 50 milliards d’euros, la CEB est éligible au pilier 2 qui va permettre de soutenir les investissements privés et publics des banques de développement en dons (1,5 milliards d’euros) et en garanties (7,8 milliards d’euros) notamment pour des projets sociaux, d’éducation, de logement ou de santé. Le recours à cette nouvelle facilité financière va amplifier les efforts de la CEB en faveur de l’Ukraine (à ce jour, 100 millions de prêt dans le domaine de la santé, notamment la santé mentale, et 2 millions de dons pour le soutien à des petites réparations des logements endommagés).
Beaucoup de politiques de l’UE (transition climatique, transition numérique, cohésion sociale, lutte contre le sans abrisme, accueil des migrants et des réfugiés, assistance aux pays candidats, soutien en cas de catastrophes naturelles, soutien à la résilience et à la reconstruction de l’Ukraine …) entrent en résonance avec le mandat de la CEB.
L’expertise de la CEB est précieuse pour prolonger l’action de l’UE, pour contribuer à donner une valeur ajoutée à des financements de l’UE ou pour intervenir dans des domaines où l’UE n’est que peu présente à ce jour, comme par exemple le financement du logement social.
La CEB, même si elle cible ses financements dans un certain nombre d’États membres dont les besoins de développement sont les plus élevés (Europe centrale et du Sud notamment), intervient dans tous les États membres de la CEB. Et le logement social fait partie de ses priorités depuis de longues années. Ainsi la CEB a financé plusieurs programmes de logement social pour des personnes à faible revenu en Basse-Saxe en 2017 (prêt de 72 millions d’euros à la NBank), en 2019 dans le Brandenbourg pour financer des infrastructures sociales et municipales ainsi que des logements sociaux destinés à des populations vulnérables, tels que les migrants et les réfugiés, les personnes handicapées, les personnes âgées et les familles avec de jeunes enfants (prêt de 150 millions d’euros à la LBBank). En 2024, un prêt de 100 millions d’euros de la CEB permettra de soutenir l’expansion des services de la plus grande société municipale de logement berlinoise, HOWOGE Wohnungsbaugesellschaft mbH, afin de fournir 1 394 logements sociaux abordables et modernes supplémentaires dans le cadre de sa nouvelle initiative de construction. En France, la CEB s’appuie sur sa coopération ancienne avec la CDC et notamment ADOMA pour contribuer au financement du logement des plus vulnérables.
L’annonce de la présidente de la Commission nouvellement élue Mme von der Leyen le 18 juillet dernier visant à désigner un Commissaire en charge des questions de logement est une nouvelle orientation importante pour l’UE et une nouvelle opportunité de coopération entre l’UE et la CEB.
Comme cela a été rappelé à Vilnius en juin dernier lors de la célébration des 25 ans de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, le rôle de la CEB est essentiel pour opérationnaliser et concrétiser des droits sociaux élémentaires dont jouissent les Européensen vertu des traités sur l’Union européenne ou en vertu de la charte sociale européenne du Conseil de l’Europe comme par exemple, le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit au logement, le droit à un accès à l’eau potable.
L’Europe sociale repose sur un socle de droits sociaux uniques dans le monde et effectifs grâce à l’action collective. C’est en effet la combinaison harmonieuse de politiques publiques et de moyens nationaux, d’instruments financiers de l’UE (Commission et Banque européenne d’investissement) et de la CEB, mais aussi l’impulsion de la société civile et des partenaires sociaux qui favorisent le progrès social en Europe avec une ambition et des moyens inégalés comparés au reste du monde.”
Pour consulter le cadre Stratégique de la CEB 2024-2027