L’Europe : un recours pour la défense des valeurs du travail social ?[1]
par Philippe LECORNE membre du Bureau d’EUROCEF
A travers ce texte Philippe LECORNE invite les travailleurs sociaux à comprendre ce qui se joue à l’échelle européenne et qui impacte et impactera de plus en plus les actions éducatives de nos services, nous invitant à exercer notre vigilance et nos réactions par rapport à une vision essentiellement économique et libérale de la construction européenne. Il nous montre comment il est encore possible de peser à travers les différentes instances décisionnelles européennes sur les choix qui concernent nos pratiques et les valeurs que nous entendons défendre.
De prime abord, l’Europe, telle qu’elle nous est présentée, semble bien peu prendre en compte les préoccupations des travailleurs sociaux. L’omniprésence de la dimension économique de la construction européenne rend d’ailleurs pratiquement inaudible et invisible toute autre manière d’aborder le sort, de plus en plus commun, de l’ensemble des citoyens européens. Ceci explique sans doute le désintérêt croissant manifesté à l’égard de l’Europe. Et quand enfin sont médiatiquement évoquées les questions de la pauvreté en Europe, c’est souvent sous l’angle de la diminution des moyens qui lui sont consacrés, ou de la remise en cause des aides jusqu’ici accordées[2].
L’Europe apparaît donc pour les travailleurs sociaux davantage comme une source d’inquiétude plutôt qu’une source d’inspiration, un obstacle supplémentaire plutôt qu’un levier possible pour les actions en faveur des populations les plus défavorisées. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par l’argumentation trop souvent invoquée lors de l’apparition de dispositions nouvelles dans notre Droit national, à savoir qu’elles résultent des contraintes imposées par le Droit européen, tout en omettant d’en proposer l’analyse de leur intérêt par rapport à nos valeurs de référence.
A l’évidence, ces dispositions, même si elles impliquent toutes une remise en cause de la manière de concevoir l’organisation et la mise en œuvre des services sociaux, ont un impact différent selon leur objet et les principes qui les inspirent : on ne peut mettre sur le même plan, par exemple, certaines dispositions relatives au financement des services sociaux tendant à les assimiler à des services marchands dans une conception inhérente au libéralisme économique, et d’autres dispositions inspirées par un souci de promotion et de développement des droits des citoyens, telles que le droit d’accès à leurs dossiers pour les usagers des services sociaux ou le droit de l’enfant à être représenté en justice ou à voir recueillir son opinion dans les décisions qui le concernent. Non seulement elles ne sont pas de même nature, mais elles sont issues d’organes de décision qui sont différents, de même que le sont les mécanismes de leur élaboration et de leur adoption. Mieux connaître la spécificité des diverses instances européennes est un préalable pour comprendre les systèmes de valeurs sur lesquelles se fondent l’adoption des textes européens et les différentes façons dont ils impactent notre législation nationale.
C’est à partir de cet éclairage que pourront s’appréhender le lien entre les doctrines européennes et les valeurs inhérentes au travail social et, subséquemment, la façon dont les citoyens en général et les travailleurs sociaux en particulier, peuvent interagir sur ce lien. On pourra ainsi constater que, si les voies de recours des citoyens contre les dispositions européennes elles-mêmes sont très limitées, il apparait pourtant des possibilités pour les travailleurs sociaux de s’appuyer sur les doctrines européennes pour défendre les valeurs auxquelles ils se réfèrent.
DEUX ORGANISATIONS EUROPEENNES AUX FONDEMENTS DIFFERENTS
Il importe d’abord de comprendre comment s’est constituée cette dimension européenne. La coexistence de deux organisations européennes, ayant chacune développé des institutions spécifiques, est la source de nombreux malentendus et à l’origine de multiples confusions, même parfois parmi les publics les plus avertis[3].
Ces deux organisations ont chacune leur propre histoire mais surtout elles reposent sur des fondements différents, ce qui affecte leur manière d’appréhender les questions sociétales.
Le Conseil de l’Europe est l’organisation la plus ancienne. Le CoE a pour objectif de favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun, organisé autour de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres textes de référence sur la protection de l’individu. Fondé en 1949 par 10 pays, rejoints la même année par la Grèce et la Turquie, le CoE compte aujourd’hui 47 pays soit la quasi-totalité du continent européen. Il est né d’une volonté intergouvernementale, c’est-à-dire que ses décisions ne s’imposent pas aux Etats, ceux-ci les adoptant par la voie de l’adhésion.
Le fondement de l’Union européenne est notoirement différent, puisque sa construction première tient à un souci de rapprochement économique entre quelques pays européens. C’est en 1952 que, autour de six pays, se constitue la CECA (communauté économique du charbon et de l’acier), précurseur de la Communauté économique européenne (aussi appelée Marché commun) créée en 1957. Petit à petit, par diverses étapes d’autres pays adhéreront pour constituer aujourd’hui une Union de 27 pays. Dès son origine cette organisation est marquée, outre par son fondement essentiellement économique, par un souci de fédéralisme, c’est-à-dire par une logique supranationale qui oblige chacun des Etas membres à conformer sa législation à la législation de l’Union. La CEE est devenue Union Européenne depuis le traité de Maastricht en 1993, cette évolution traduisant la volonté de dépasser l’objectif strictement économique pour viser une intégration politique. Pour autant, encore aujourd’hui, les balbutiements de la dimension politique témoignent de la prégnance de la dimension économique dans le fonctionnement de l’Union européenne.
Sur la question de la cohésion sociale et de l’exclusion, l’approche des deux instances est différente. Pour l’Union européenne, la question de l’emploi, du plein emploi, de l’activité et des conditions économiques sont les éléments d’entrée essentiels. Pour le Conseil de l’Europe, on considère que la situation de la personne ne résulte pas comme la conséquence d’un échec de l’individu mais la conséquence d’un système qui n’est plus en mesure de répondre à la situation.
On voit donc que la notion d’emploi est pour l’Union Européenne primordiale. Pour le Conseil de l’Europe, c’est loin d’être suffisant, la cohésion sociale intégrant toutes les questions relatives à la vie des individus et des groupes, ce qui va donc bien au-delà de la dimension économique.
Si les deux organisations ont la même finalité et mettent l’accent sur le besoin de politiques sociales intégrées aux autres politiques, l’Union Européenne met l’accent sur le besoin économique de compétitivité pour réduire l’exclusion et la pauvreté tandis que le Conseil de l’Europe place au centre de ses activités la dignité humaine et met l’accent sur le respect des Droits de l’Homme. On peut dire que le Conseil de l’Europe va plus loin que l’Union Européenne et que son approche est sans doute plus en phase avec les préoccupations des travailleurs sociaux.
DES VALEURS COMMUNES, DES EXPRESSIONS DIFFERENTES
Ce distinguo établi entre les deux organisations européennes et leurs fondements d’origine, il convient d’éviter toute tentation trop simplificatrice et de prendre en compte les évolutions de doctrine et les enjeux qui les affectent.
Depuis le traité de Maastricht en 1993, l’Union Européenne a manifesté sa volonté de dépasser son objectif essentiellement économique. Cela s’est notamment traduit par l’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, charte adoptée à l’occasion du traité de Nice en 2000, et dotée de la même force juridique obligatoire que les traités avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009.
Dans cette charte, l’UE adopte clairement des thématiques jusque là exclusivement traitées par le CoE. Cette charte se veut contenir les principes généraux énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et ceux résultant des traditions constitutionnelles communes des pays de l’UE. Par ailleurs, la charte inclut les droits fondamentaux réservés aux citoyens de l’Union européenne et notamment les droits économiques et sociaux tels qu’énoncés dans la charte sociale du Conseil de l’Europe.
On peut donc considérer que l’UE a fait un pas, encore timide certes, vers la prise en compte et la promotion des droits de l’homme, même si sa préoccupation dominante et son système de valeurs reste de nature économique.
Du côté du Conseil de l’Europe, l’enthousiasme suscité par un système de valeurs référé essentiellement aux droits de l’homme et de la démocratie doit être quelque peu tempéré par le constat que valeurs communes ne font pas forcément expressions identiques de ces valeurs. Chaque pays a son histoire, sa culture, son mode d’exercice de la démocratie, son organisation politique et sociale qui fait de l’Europe une mosaïque où s’expriment souvent de manière fort différente l’idéal démocratique et humaniste que porte l’institution européenne. Citons, entre autres, deux thématiques ainsi mises en tension dans l’espace européen :
- le paradigme européen de la désinstitutionalisation qui agit et interfère différemment sur les politiques sociales des États. Ainsi, s’il permet, à bon escient, de combattre les grandes structures asilaires encore présentes dans certains pays de l’est de l’Europe, le souci d’une intégration la plus importante possible des personnes fragiles dans leur milieu ordinaire de vie a pour effet de justifier la stagnation ou la diminution du nombre des lieux d’accueil spécialisés sans que les moyens soient vraiment pris pour favoriser cette intégration (cf. en France, la question de l’intégration scolaire des enfants handicapés).
- La référence unificatrice de l’intérêt supérieur de l’enfant a du mal à masquer l’écart important entre les conceptions latines et anglo-saxonnes sur la question des places respectives de l’enfant et de sa famille, ainsi que l’analyse Joël HENRY[4]. Si les latins développent une conception protectionniste où l’enfant, tout en étant libre et sujet de droit, est d’abord un être à protéger, notamment dans le cadre parental, les Anglo-Saxons voient dans l’enfant un être capable d’autonomie par rapport aux adultes, thèse libérationniste, qui va jusqu’à considérer parents et enfants comme de simples partenaires à traiter sur un pied d’égalité.
A l’évidence, sur la base de valeurs communes, l’Europe est un terrain de débat, voire de combat, sur la détermination des principes qui en découlent et sur la façon dont ceux-ci trouvent à s’illustrer dans les politiques nationales. A ce titre, au-delà d’une actualité européenne monopolisée par la dimension économique des problèmes, les citoyens européens que sont les travailleurs sociaux ne peuvent rester indifférents sur la manière dont se déclinent la défense et la promotion des droits de l’homme et de la dignité humaine. La question est alors de savoir comment ces citoyens peuvent participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques sociales dictées par les orientations européennes, comment aussi ils peuvent s’appuyer sur la doctrine européenne pour influer sur les évolutions des politiques nationales, quand ces dernières mettent à mal les valeurs auxquelles ils sont attachés.
LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU PROCESSUS DECISIONNEL EUROPEEN
La participation des usagers relève de l’idéal démocratique et des principes qui en découlent.
Dans les pays d’Europe occidentale, deux tendances très différentes, voire contradictoires, sont apparues depuis quelques années. D’un côté, la participation des citoyens à la démocratie représentative, telle qu’elle s’exprime dans les élections locales, nationales et européennes, est – à quelques exceptions près – à la baisse, au point que certains pays envisagent de rendre le vote obligatoire (c’est déjà le cas en Belgique).
D’un autre côté, la demande des citoyens d’être davantage associés aux décisions les concernant augmente. La prise en compte de cette demande s’illustre notamment par l’avènement de ce que l’on appelle « le droit des usagers » ̎ L’exigence de démocratie directe prend ainsi le pas sur la démocratie représentative. Le contraste n’est probablement pas aussi évident, pour des raisons que l’on peut comprendre, dans les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale.
Au-delà de la démocratie représentative dont l’élection des députés de l’Union européenne est la manifestation la plus concrète, quels mécanismes favorisent l’expression de la démocratie participative au sein des organisations européennes? Nous passerons rapidement en revue l’ensemble des voies de recours possibles avant de présenter plus en détail celle qui, à ce jour, nous semble être la plus accessible pour traiter des questions relatives au droit des personnes concernées par le travail social, que ces dernières soient professionnels ou usagers.
Du côté de l’UE, on peut en mentionner trois:
- la saisine du médiateur européen
Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de saisir le médiateur européen (ombudsman) en cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes ou organismes de l’Union, à l’exclusion de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles. On remarquera que la portée de cette saisine apparaît comme relativement limitée car elle ne porte que sur la relation du citoyen européen avec la gestion administrative de l’Union. On trouvera la liste des affaires traitées sur le site : www.ombudsman.europa.eu/fr - la saisine de la Cour de justice européenne
La Cour de justice interprète la législation européenne de manière à garantir une application uniforme du droit dans tous les pays de l’UE. Elle statue également sur les différends opposant les gouvernements des États membres et les institutions de l’UE. Des particuliers, entreprises ou organisations peuvent également saisir la Cour de justice s’ils estiment qu’une institution de l’UE ou des membres de son personnel n’a pas respecté leurs droits. Pour plus de détails, on pourra se reporter au site : http://europa.eu/about-eu/institutions-bodies/court-justice - l’initiative citoyenne européenne
Instaurée par le traité de Lisbonne, l’initiative citoyenne européenne (ICE) est une nouvelle forme de participation à l’élaboration des politiques de l’Union européenne.
L’initiative citoyenne européenne permet à un minimum d’un million de citoyens issus d’au moins un quart des États membres de l’UE d’inviter la Commission européenne à présenter des propositions d’actes juridiques dans des domaines relevant de sa compétence. Les organisateurs d’une initiative citoyenne doivent former un comité des citoyens composé d’au moins sept citoyens de l’UE résidant dans au moins sept États membres différents. Ils disposent d’une année pour recueillir les déclarations de soutien nécessaires. Le nombre de déclarations de soutien doit être certifié par les autorités compétentes dans les États membres. La Commission dispose alors de trois mois pour examiner l’initiative et décider de la suite à lui donner.
Conformément au règlement, les premières initiatives citoyennes européennes ont pu être effectivement lancées depuis le 1er avril 2012. Le délai de recueil des signatures est donc toujours en cours pour la quinzaine d’initiatives connues à ce jour. On en trouvera la liste sur le site : http://ec.europa.eu/citizens-initiative
Du côté du Conseil de l’Europe, le citoyen européen a accès à deux voies de recours:
- la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme (aussi appelée CEDH ou Cour de Strasbourg, par opposition à la Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg) est un organe juridictionnel supranational créé par la Convention européenne des droits de l’homme. Sa mission est de veiller au respect de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (nom officiel, souvent appelée Convention européenne des droits de l’homme). La Cour européenne des droits de l’homme est compétente lorsqu’un État membre du Conseil de l’Europe, qui a ratifié la Convention et ses Protocoles additionnels (État partie), ne respecte pas les droits et les libertés qui y sont reconnus.
L’article 35 de la convention européenne des droits de l’homme établit une condition préalable à la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, l’épuisement des voies de recours interne. Cette condition est la conséquence de la compétence subsidiaire de la juridiction supranationale, conçue comme un organe de contrôle de l’application de la convention. Les juridictions des États signataires sont chargées d’appliquer la convention, et de faire disparaître les violations des droits de l’homme. Pour saisir la Cour, le requérant doit établir l’incapacité des juridictions nationales à remédier aux manquements, en exerçant les recours utiles, efficaces et adéquats, et en invoquant en substance une violation de la convention.
Ce préalable étant satisfait, une requête individuelle auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (article 34) est possible pour toute personne qui s’estime victime d’une violation par une des parties contractantes d’un des Droits reconnus dans la convention (convention européenne des droits de l’homme)
La Cour européenne des droits de l’Homme est confrontée à des difficultés dans l’accomplissement de ses tâches, à cause de l’accroissement important des requêtes individuelles et de celles en instance. En 2010 un total de 63.000 requêtes ont été reçues. L’année précédente, elles étaient 55.000. Au 31 août 2011, quelque 160 200 affaires étaient en instance devant la Cour. Pour faire face à ces problèmes, une réforme est envisagée par le Comité Directeur des Droits de l’Homme (CDDH) pour limiter le nombre de requêtes et rendre leur traitement plus efficace. Mais il y a un danger que tout ceci puisse aboutir à une forte restriction du droit de recours individuel – pierre angulaire du mécanisme de la Convention européenne des Droits de l’Homme – et de l’apport indispensable de la Cour européenne des Droits de l’Homme et sa jurisprudence dans l’espace démocratique européenOn trouvera des informations complémentaires sur le site : http://www.echr.coe.int - la procédure de réclamations collectives
La présentation de cette procédure nécessite un détour par l’organisation institutionnelle du Conseil de l’Europe qui repose sur quatre piliers:- Le comité des ministres est composé des 47 ministres des Affaires Etrangères ou de leurs représentants à Strasbourg.(ambassadeurs). C’est l’organe de décision de l’organisation. Il décide des activités et du programme de travail du Conseil de l’Europe. Il adopte le budget annuel. Il se réunit annuellement au niveau ministériel et plusieurs fois par mois au niveau des ambassadeurs. A chaque session, la présidence est confiée pour six mois à un Etat membre, à tour de rôle (dans l’ordre alphabétique anglais).
- L’assemblée parlementaire : c’est une assemblée délibérative qui représente les parlements des Etats membres. Elle comprend 318 membres titulaires (et 318 suppléants) issus des 47 parlements nationaux auxquels s’ajoutent 18 membres des délégations des Etats observateurs (peuvent prendre la parole mais n’ont pas le droit de vote).
- Le congrès des pouvoirs locaux et régionaux
Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe est une assemblée politique paneuropéenne composée de 636 élus – conseillers régionaux et municipaux, maires et présidents de région – représentant plus de 200000 collectivités de 47 pays européens. - La conférence des ONG
La voix de la société civile se fait entendre au Conseil de l’Europe grâce à la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING).
Depuis qu’il a créé le statut consultatif pour les OING, en 1952, le Conseil de l’Europe a développé des relations de plus en plus étroites et fructueuses avec les ONG, représentantes de la société civile. La création du statut participatif, en 2003, a permis de renforcer la participation active des OING à la politique et au programme de travail du Conseil, ainsi que la coopération entre le Conseil et la sphère associative dans les Etats membres.
Plus de 400 OING sont dotées du statut participatif. Elles constituent depuis 2005 la Conférence des OING, qui représente la société civile dans le « quadrilogue » du Conseil de l’Europe, aux côtés du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Par le biais de ce statut, le Conseil de l’Europe inclut les OING dans les activités intergouvernementales et encourage les membres des parlements et les collectivités locales et régionales à dialoguer avec les associations au sujet des défis auxquels est confrontée la société. La Conférence des OING est aujourd’hui reconnue comme une institution du Conseil de l’Europe.
Les OING dotées du statut participatif peuvent, moyennant le respect de certaines conditions de représentativité, demander à figurer sur la liste des organisations habilitées à déposer des réclamations collectives. Les OING habilitées sont actuellement près de 80. Parmi elles figurent le Comité européen d’action spécialisée pour l’enfant et la famille dans leur milieu de vie (EUROCEF) , OING européenne créée en 1988 sur initiative du CNAEMO, son objectif étant de développer, à l’échelle européenne, les travaux et les échanges sur l’action éducative et sociale en direction de l’enfant et de la famille, et d’agir auprès des instances européennes pour en faire reconnaître la nécessité et les conditions d’exercice.
LA PROCEDURE DE RECLAMATIONS COLLECTIVES : UN OUTIL POUR LA DEFENSE DES DROITS SOCIAUX
Ainsi que nous l’avons indiqué précédemment, la Convention européenne des droits de l’homme est le texte fondateur du Conseil de l’Europe. Elle garantit les droits civils et politiques des citoyens européens. La Charte sociale européenne, qui en garantit les droits sociaux et économiques en est le complément naturel. Adoptée en 1961, elle a été révisée en 1996. La Charte sociale européenne (ci-après dénommée «la Charte») énonce des droits et libertés et établit un système de contrôle qui garantit leur respect par les Etats parties.
C’est Le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) qui a pour mission de juger la conformité du droit et de la pratique des Etats parties à la Charte sociale européenne.
Pour ce faire, des rapports nationaux doivent obligatoirement lui être soumis par les Etats parties sur la manière dont ils appliquent leurs engagements.
L’autre système de contrôle du respect de la Charte par les Etats est constitué par la procédure de réclamations collectives. Le Protocole additionnel de 1995 instaurant un système de réclamations collectives est entré en vigueur le 1er juillet 1998. Il permet, par rapport aux Etats ayant accepté cette procédure, de saisir le Comité européen des Droits sociaux de recours alléguant de violations de la Charte. Cette saisine peut être opérée par :
- La Confédération européenne des syndicats (CES) et l’Organisation Internationale des Employeurs (OIE)
- Les organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe et inscrites sur une liste établie à cette fin par le Comité gouvernemental
- Les organisations d’employeurs et les syndicats de l’Etat concerné
La réclamation est examinée par le Comité qui, si les conditions de forme sont remplies, décide de sa recevabilité.
Une fois la réclamation déclarée recevable, une procédure écrite se déroule avec échange de mémoires entre les parties. Eventuellement, le Comité peut décider d’organiser une audition publique.
Le Comité adopte ensuite une décision sur le bien-fondé de la réclamation. Il la transmet aux parties et au Comité des Ministres dans un rapport, lequel sera rendu public au plus tard quatre mois après sa transmission.
Finalement, le Comité des Ministres adopte une résolution. Le cas échéant, il peut recommander à l’Etat de prendre des mesures spécifiques pour mettre la situation en conformité avec la Charte. Le pouvoir du Conseil de l’Europe réside dans l’impact de la publicité des décisions prises et par la pression exercée vis-à-vis de l’Etat partie afin qu’il mette en conformité sa législation et ses pratiques avec ses engagements.
A ce jour, 14 Etats membres du Conseil de l’Europe sont liés par le Protocole. Sur la période 1998-2011, le Comité européen des Droits sociaux a été saisi de 75 réclamations collectives. Certaines concernent la France. Le CEDS l’a notamment mis en cause pour violation de certains articles de la Charte en raison :
- De ses avancées insuffisantes dans la prise en charge de l’éducation des personnes atteintes d’autisme
- Des restrictions du droit d’accès à l’assistance médicale pour les ressortissants étrangers en situation irrégulière
- De l’insuffisance de sa politique du logement en faveur des personnes pauvres
- De sa politique à l’égard des Roms (procédure d’expulsion et discrimination)
UN EXEMPLE DE PROCEDURE DE RECLAMATION COLLECTIVE A L’INITIATIVE D’EUROCEF
En avril 2012, EUROCEF a déposé une réclamation collective à l’encontre de la France pour violation de la Charte sociale européenne. Cette réclamation porte sur la situation des familles concernées par la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire de leurs enfants, mesure appliquée par la France par la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (JORF n°0226 du 29 septembre 2010 page 17553 texte n° 1) et la loi N° 2011-267 du 14 mars 2011 portant sur le contrat de responsabilité parentale.
EUROCEF considère que la suspension des allocations familiales porte atteinte au droit de la famille à une protection sociale et économique (article 16 de la Charte), ainsi qu’au droit à la protection de chacun contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 30), de même qu’elle contrevient, par ses modalités d’application, au principe de non-discrimination énoncé à l’article E de la Charte.
EUROCEF est actuellement dans l’attente de la décision du Comité européen des droits sociaux qui doit se prononcer à la suite du mémoire en réplique déposé par le gouvernement français en date du 30 juillet 2012 et de la réponse qui y a été apportée par EUROCEF en date du 24 octobre 2012.
Cette démarche aura-t-elle été utile ? Nous ne savons pas le sort qui lui sera réservée dès lors que l’Assemblée Nationale vient d’adopter définitivement, ce 17 janvier 2013, une loi abrogeant le dispositif de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. En tous les cas, nous nous félicitons de cette conjonction d’initiatives de tous ceux qui ont lutté contre cette mesure injuste et inefficace. Le Comité européen des droits sociaux donnera-t-il un avis sur la question, bien que celle-ci ait été nationalement tranchée? Nous le souhaitons sans oser l’affirmer. Il sera loisible à chacun de suivre le devenir de cette réclamation sur le site du Conseil de l’Europe, dans la rubrique « Charte sociale européenne».
Nous conclurons en souhaitant que ces quelques lignes aient permis aux travailleurs sociaux de mieux comprendre ce qui se joue à l’échelle européenne, à la fois pour exercer leur vigilance par rapport à une vision essentiellement économique et libérale de la construction européenne, mais aussi pour contribuer à la défense des droits de l’homme et au développement des mesures et des pratiques pouvant y contribuer.
[1] Cet article, paru dans le numéro de mars 2013 de la revue Espace Social, est reproduit ici avec l’aimable autorisation du Carrefour National de l’Action Educative en Milieu Ouvert (CNAEMO), ONG française qui diffuse cette revue : www.cnaemo.com
[2] Ainsi en est-il du programme alimentaire de redistribution des excédents de la politique agricole commune, programme alimentaire dont sont bénéficiaires, par le biais de diverses associations caritatives, plus de 13 millions d’Européens parmi les plus démunis. Ce programme d’aide est aujourd’hui remis en cause par certains Etats qui estiment que les politiques sociales relèvent des Etats et non de l’Union. Constamment en sursis depuis 2011, ce programme disparaitra d’ici fin 2013, si aucun accord n’intervient pour le maintenir.
[3] C’est notamment le cas parfois de certains journalistes, ce qui rend encore plus difficile la compréhension des politiques européennes.
[4] Du social en Europe, le dispositif français en péril, Edition Cheminements, 2006